Blog: « Osons dire que la seule façon de regagner de la souveraineté est de la partager » - Hoofdinhoud
Interview de L'opinion
Comment protéger l’héritage des Pères fondateurs ?
La meilleure façon de protéger notre Union est de la changer. Nous devons être aussi visionnaires et courageux que nos Pères et Mères fondateurs. Je crois qu'il faut en finir avec le débat idéologique entre européisme et euroscepticisme. Comme s’il y avait d’un côté ceux qui voulaient à tout prix préserver ce qui existe, au risque de tomber dans une sorte de conservatisme, et de l’autre ceux qui veulent détruire le projet européen, au nom de la souveraineté nationale. Osons dire que la seule façon de regagner de la souveraineté est de la partager. Ce qu’il faut, c’est préserver les raisons pour lesquelles nous avons construit notre l’Union tout en changeant la manière dont on la construit. Contrairement à celle des Pères fondateurs, ma génération n’a pas vécu la guerre et considère la paix comme quelque chose d’acquis, sans voir que sur d'autres continents l’absence d’intégration régionale est une cause de conflit. Plus il y a d’intégration, moins il y a de guerre. Mais il nous faut trouver un nouvel élan car l’intégration économique, seule, ne marche pas.
Peut-on encore parler d’idéal européen ?
Ce n’est pas seulement une question d’idéal, c’est aussi une question d’intérêt pour les citoyens. Il faut changer de vision. Certains pro-européens gardent la nostalgie d’un âge d’or de l’intégration qui n’a jamais vraiment existé. Mais l’Europe n’est pas un fait abstrait ; l’Europe c’est nous, ce sont les 500 millions d'européens. Si nous la dénigrons, nous nous dénigrons nous-mêmes. Certains responsables politiques tiennent depuis des années un discours suicidaire. D’un côté, ils insistent sur la nécessité d’apporter une réponse européenne à de nombreux problèmes car ils savent que la solution passe par davantage de coopération. De l’autre, parce que c’est plus payant en terme de politique nationale, ils freinent les avancées et reprochent ensuite à l’Europe d’avoir failli. C’est un discours qui paie à court terme auprès des opinions publiques car le coupable est identifié : c’est Bruxelles, toujours Bruxelles. Mais à moyen terme, ce « blame game » n’apporte pas de solution. Osons dire que la seule façon de regagner de la souveraineté est de la partager. C’est vrai pour l’économie, la sécurité, l’éducation, l’immigration, c’est vrai pour tout. Aucun intérêt national ne peut être mieux servi au niveau purement national qu’avec des moyens européens. Je pense que les citoyens savent que la situation est complexe : ils attendent des politiques un message de vérité et non une réponse simplificatrice comme c’est le cas aujourd’hui. Il faut arrêter de croire que le courage politique ne donne pas de résultats électoraux. Au Canada, Justin Trudeau a gagné des élections difficiles avec un message sur les réfugiés qui allait à l’encontre du discours majoritaire.
Quelle image l’Europe a-t-elle aujourd’hui dans le monde ?
D’un côté, il y a de l’admiration pour notre intégration, qui est unique au monde et a permis à l’Europe de dépasser des siècles de guerre. Regardez l’Asie, où la Corée, le Japon et le sud de la Chine en sont encore à débattre de la deuxième guerre mondiale. Regardez l’Amérique latine, qui essaie de mettre en place une intégration régionale. Regardez l’Union africaine, qui voit dans le modèle de l’intégration européenne la solution à beaucoup de leurs problèmes. Il y a aussi une grande admiration pour le style de vie, la culture européenne. Mais d’un autre côté, il y a chez nos partenaires un sentiment d’incrédulité face à la crise d’identité et de confiance que traverse l’Europe. Ils ne comprennent pas la panique qui nous saisit, nous qui sommes une puissance économique, militaire, diplomatique. Les Européens doivent reprendre confiance en eux. On s’est habitué à entendre un message négatif et on ne se rend pas compte que c’est notre force qu’on est en train de détruire de l’intérieur. Cette tendance est à l’œuvre chez les dirigeants politiques mais aussi dans les élites culturelles, médiatiques, économiques. C’est de la responsabilité de chacun de l’inverser.
Quels clivages la crise des réfugiés a-t-elle révélé au sein de l’UE ?
La gestion des flux migratoires est quelque chose de très complexe car on parle de vies humaines. Quand l’Italie est devenue un pays d’accueil dans les années 90, ce fut un choc, car elle se voyait encore comme une terre d’émigration. Il faut apprendre à vivre ensemble, ce n’est pas automatique, mais c'est une force. C’est pourquoi je comprends que pour des pays qui n’ont jamais été une terre d’immigration, cela soit très difficile d’un point de vue culturel, pratique, économique. L’Histoire très différente vécue par chacun explique les clivages que l’on constate au sein de l’UE. On en revient au débat sur l’Europe. Quand on disait il y a un an que la gestion des flux migratoires et des réfugiés était une question européenne, beaucoup criaient au scandale et considéraient que c’était une compétence purement nationale. C’est l’une des raisons pour lesquelles les Européens ont autant tardé à s’engager en Méditerranée : personne ne voulait prendre la responsabilité de gérer l’accueil des réfugiés après les avoir sauvés en mer. Il a fallu 800 morts, au printemps dernier, pour que cela change et que l'on prenne conscience de l'importance de gérer cela ensemble
Quelle forme prend cette prise de conscience ?
L’Europe n’est pas une entité abstraite, c’est une communauté de solidarité. On est une Union, et si on a quelque chose à gérer, on doit essayer de le faire ensemble, comme dans une famille. S’il y a une vague de migrants à Lampedusa, c’est le problème de l’Europe toute entière car ces gens ne viennent pas en "Italie", ils viennent en "Europe" et veulent souvent poursuivre leur route. En quelques mois, l’idée que c’était un enjeu européen s’est progressivement imposée. Cela nous a permis de développer des instruments communs sur l’accueil, la gestion des flux migratoires, le retour, l’aide aux pays d’origine. Ce fut intéressant pour moi de parler avec nos partenaires africains et asiatiques, également confrontés au phénomène des migrations et des réfugiés. Les pays d’Asie nous demandent également comment on a réussi à mettre en place une gestion commune car il sont confrontés aux mêmes défis. Mais l’Ethiopie, qui abrite 700 000 réfugiés, ne comprend pas pourquoi l’Europe a autant de mal à accueillir ceux qui arrivent chez elle.
Que proposez-vous pour relancer le projet européen ?
Il faut être concret, c’est la clef pour redémarrer le moteur européen. Il faut se préoccuper de la croissance, de l’investissement, de l’emploi des jeunes, offrir des opportunités aux citoyens. A partir du moment où ces derniers verront que c’est avec des instruments communs qu’on arrive à trouver des solutions, l’idéal de l’intégration européenne renaîtra. Il faut faire fonctionner la machine, utiliser les outils dont on dispose, en développer de nouveaux quand on n’en a pas. Aujourd’hui, il n’y a pas un phénomène qui ne soit global. Prenons l’exemple du changement climatique : on est arrivé au bon résultat de la COP21 grâce à la force et à l’unité de l’Union européenne. Les responsables politiques doivent aussi mettre en œuvre les décisions qu’ils ont prises à vingt-huit, en assumer la responsabilité. Sinon, les citoyens se disent que ça ne marche pas. On a aussi tendance à voir les problèmes comme quelque chose qui arrive de l’extérieur alors que les questions de terrorisme et de sécurité commencent chez nous. On parle beaucoup des Européens qui vont s’entraîner en Syrie ou en Irak, mais on s’est surtout intéressé au problème de leur retour en Europe au lieu de se pencher sur les raisons de leur départ. Les pays du Moyen-Orient sont prêts à coopérer avec nous, mais ils voudraient qu’on commence par empêcher ces « combattants étrangers » de venir chez eux. Il y a un important travail à faire chez nous pour prévenir la radicalisation.
La construction européenne est-elle en danger ?
Le risque de désintégration existe. C’est un risque qu’on a vécu cet été avec la Grèce. J’ai toujours été convaincue que le Grexit aurait marqué le début de la fin du projet européen. Jusqu’à maintenant, intégration et élargissement sont allés de pair : cette expansion était la force de notre projet. Si on commence à rétrécir, où va-t-on ? On peut bien sûr s’arrêter pour réfléchir et retrouver de l’énergie ; mais il faut que ce soit pour aller de l’avant. Le risque de retourner en arrière est également présent. Quelle serait alors l’alternative ? Les adversaires du projet européen sont incapables d’apporter des solutions. Ils sont contre l’Europe, contre l’euro, contre tout, c’est nihiliste comme discours, c’est comme un trou noir. Selon moi l’alternative est simple : soit l’Europe sort renforcée de la crise, soit elle court au suicide. J’espère que le moment de transition, de « crise » au sens grec du terme, que nous traversons aujourd’hui nous permettra de comprendre qu’il faut plus d’intégration, que c’est la seule façon d’apporter des réponses concrètes aux problèmes des citoyens. Il faut avoir confiance en nous.
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